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Nouvelles

31/01/2024 : Guillaume Kalfon nous fait part du décès le 30/01/2024 d’Odile Berthaut (qui fut Odile Kalfon jusqu’en 1976). Mme Berthaut enseigna au Lycée Condorcet de 1972 à 2001, en Latin, Grec & Français et a été une membre très active de l’Amicale des professeurs. L’Association des Anciens Élèves et l’Amicale des professeurs s’associent à la douleur de ses proches et lui présentent ses plus sincères condoléances.
Voici le texte de l’hommage écrit par Pierre Albertini et lu lors des obsèques d’Odile Berthaut le 9Février 2024 :

Au nom de l’Amicale du lycée Condorcet, où Odile enseigna pendant 29 ans, de 1972 à 2001, je voudrais essayer de dire le magnifique souvenir qu’elle y a laissé, à la hauteur du chagrin qu’éprouvent ses anciens collègues, y compris ceux qui n’ont pas pu être parmi nous aujourd’hui.
Odile fut nommée à Condorcet en 1972, à l’âge de 31 ans, à une époque où c’était encore (mais pour très peu de temps) un lycée de garçons. A la fin de sa carrière, elle racontait le choc qu’avait été pour elle l’arrivée dans cette vieille institution parisienne et, plus précisément, dans la salle des professeurs, où les femmes étaient encore rarissimes (elle a pu cependant s’y appuyer très vite sur la mathématicienne Anne Raoult, qui l’avait précédée de quelques années, et sur Francine Wolff, comme elle agrégée de grammaire et avec qui elle forma un duo de choc). Un aréopage de vieux professeurs réactionnaires, traumatisés par les récents événements de Mai 68, regardaient sans aucune bienveillance l’irruption dans leur temple de ces très jeunes collègues, certes agrégées comme eux, mais appartenant au sexe faible et susceptibles pour cette raison de divertir (au sens pascalien) les jeunes gens qu’on leur confiait, en les détournant du droit chemin de l’étude par les artifices et les séductions propres à leur sexe.
Odile mit rapidement fin à leurs soupçons en devenant un des piliers de l’enseignement des lettres dans la maison. Agrégée de grammaire, elle enseignait en seconde, en première et en terminale, avec une redoutable efficacité, le français, le latin et le grec. Sa réputation fut rapidement assurée. Très vite, on lui demanda de se charger aussi du français en classes préparatoires scientifiques (d’abord en M, classe aujourd’hui appelée MP, où elle fut la collègue d’Hervé Pépin, puis en MP*, où elle fut la collègue d’Anne Raoult) et les résultats de ses élèves aux concours des grandes écoles furent particulièrement brillants (certains de ses élèves de M intégrèrent Centrale Paris grâce au français). Pendant trois décennies, sa culture, sa distinction, sa rigueur, sa subtilité firent merveille, en « taupe » comme dans les classes de baccalauréat, dans l’enseignement de la littérature française comme dans celui des langues anciennes. Son souci de la méthode et sa sensibilité politique la mettaient en phase avec l’ébullition intellectuelle des années 1970 et elle ouvrit l’esprit de cohortes d’élèves sur des auteurs, des théories, des idées qu’ils n’auraient pas connus sans elle. Résolument de gauche, elle s’intéressa aux éruptions lycéennes de la période mais ne fut pas dupe de leurs meneurs, qui s’empressèrent de passer du col Mao au Rotary. Son charme pédagogique tenait pour partie à sa bienveillance et à son profond libéralisme : elle détestait les catéchismes, les embrigadements et les hypocrisies. Autrement dit, la formule de « grand lycée libéral », souvent employée à propos de Condorcet, lui allait comme un gant. Il ne fait aucun doute qu’Odile a eu une vie professionnelle très privilégiée. Elle insistait du reste beaucoup là-dessus dans ses dernières années, consciente d’avoir échappé à la plupart des évolutions négatives qui affectent l’enseignement secondaire public depuis des décennies. Elle, qui avait connu une ascension sociale par l’école républicaine, d’un village de l’Aisne à l’hypokhâgne de Fénelon puis à la Sorbonne et à l’agrégation, savait bien que l’établissement où elle enseignait était assez largement du côté de la reproduction sociale. Elle lisait régulièrement à ses élèves le passage de La Curée où Zola décrit la sortie des élèves de Condorcet en 1867 et plus précisément les conciliabules d’une vingtaine de jeunes grands bourgeois qui s’offrent « des havanes dans des porte-cigares à fermoirs d’or » et font porter « leur paquet de livres par un domestique en livrée ». Elle racontait avec le sourire qu’un de ses élèves des années 1970 lui avait apporté une édition dédicacée de Du côté de chez Swann, le dédicataire étant un camarade de classe de Marcel Proust et l’arrière-grand- père de l’élève en question. Elle avait moins d’indulgence pour le lycéen qui, dans le fanzine condorcéen de 1995, avait pris les professeurs de haut en écrivant : « dans dix ans, mes amis, nous gagnerons trois fois ce qu’ils gagnent. »
Elle fut une collègue très appréciée et, on peut le dire, très aimée. Sa pénétration, sa justesse, son sourire, sa causticité rendaient sa fréquentation très agréable et souvent très instructive, en salle des professeurs comme au réfectoire. Elle avait beaucoup de jugement, que ce soit pour parler d’un élève, d’un proviseur, d’un candidat à la présidence de la République, d’une mise en scène ou d’un film. Ceux des professeurs du lycée qui ont eu la chance de la revoir après 2001, aux pots et aux soirées de l’Amicale, ou hors du lycée, notamment chez Anne et Jean-Pierre Raoult, savent quelle convive délicieuse elle pouvait être. Elle s’intéressait aux parutions littéraires et à l’actualité culturelle, mais aussi à l’histoire, à la sociologie, à la politique. Elle savait écouter. Elle maîtrisait parfaitement cet art qui se raréfie et qu’on appelait naguère l’art de la conversation.
Elle parlait admirablement des siens, de sa mère, receveuse des P&T qui avait fait l’exode de juin 1940 en ne perdant pas un sou de sa recette (bel exemple de conscience professionnelle enracinée dans la Troisième République), de ses quatre enfants, dont elle était particulièrement fière, de son long séjour paradisiaque en Nouvelle-Calédonie (chez sa fille et son gendre), de ses retours au pays natal, une Picardie sinistrée, ravagée par le chômage et le populisme.
Nous ne pouvons qu’imaginer l’immense chagrin de ses enfants, Frédéric, Hélène, Guillaume et François. Nous prenons part à leur deuil et, en même temps, nous tenions à les assurer que leur mère fut, sans aucune arrogance, un très grand professeur, qu’elle a rendu d’éminents services au lycée Condorcet, qu’elle s’y est fait un grand nombre d’admirateurs et d’amis, qui chériront sa mémoire.


14/01/2024 : Françoise Courssaget nous a fait part du décès de Roger Bruyeron, professeur honoraire de philosophie en khâgne moderne. Membre du comité de rédaction de la revue de Métaphysique et de Morale, il laisse de nombreux écrits dont la liste peut être consultée sur le site de la BNF. Voici le texte de l’hommage écrit par Jean Duchesne :

Nous apprenons avec peine le décès en janvier 2024 de Roger Bruyeron, professeur apprécié de philosophie en première supérieure (khâgne dite moderne) au lycée Condorcet de 1994 à 2008, qui a formé une génération de philosophes et de normaliens. Il a dirigé la collection « Philosophie » aux éditions Hermann et était membre de la Société française de philosophie et du comité de rédaction de la prestigieuse Revue de métaphysique et de morale.
C’était un lien de plus avec Condorcet, car cette publication a été fondée en 1893 par d’anciens élèves du lycée : Xavier Léon, Élie Halévy, Léon Brunschvicg, Louis Couturat, figures de proue de l’idéalisme français autour de 1900 et tous disciples d’Alphonse Darlu, qui influença profondément aussi le jeune Marcel Proust. Dans Jean Santeuil, premier essai de roman autobiographique de Proust, on reconnaît Darlu dans le personnage de Monsieur Beulier, professeur de philosophie qui suscite l’enthousiasme admiratif du héros.
À l’instar de Darlu dont il fut un des successeurs à Condorcet, Roger Bruyeron a peu publié sous son seul nom tant qu’il enseignait, à l’exception de La Sensibilité chez Armand Colin en 2004. Mais il est l’auteur de nombre de contributions à des collectifs, de préfaces et d’articles de revue, ainsi que d’interventions à des colloques et conférences, et il a continué une fois à la retraite. Il a alors donné deux livres chez Hermann : Le Petit Château de Diderot (Entretien d’un philosophe avec son ombre) en 2013, et 1914 : L’Entrée en guerre de quelques philosophes (Edmund Husserl, Henri Bergson, Bertrand Russell, Sigmund Freud) en 2016.
Avant tout pédagogue comme tous les grands professeurs de prépas en lycée, Roger Bruyeron ne s’est pas spécialisé et n’a négligé aucune période de l’histoire de la philosophie, de l’Antiquité aux époques moderne et contemporaine, en passant par le Moyen Âge et la Renaissance, en y ajoutant un intérêt personnel pour la psychologie, l’esthétique et l’actualité de la vie intellectuelle.  Il s’est ainsi intéressé à la peinture et s’est montré dans ses écrits un des meilleurs connaisseurs et commentateurs de l’œuvre de Georges Politzer, juif communiste d’origine hongroise émigré en France, philosophe et économiste, pionnier de la psychanalyse et critique de Freud, résistant exécuté par les nazis en 1942.