Conférence de Christian GALLOT* présentée au lycée Condorcet le Lundi 9 Décembre 2024
*Ancien élève du lycée, Christian GALLOT est diplômé Sciences-Po Paris et docteur en histoire.
Le quartier Saint-Lazare, dont nous allons parler ce soir, je le connais bien, pour l’avoir fréquenté depuis toujours : j’ai passé toute ma scolarité à Condorcet, de la sixième à l’hypokhâgne, j’ai fait ma communion solennelle à Saint-Louis d’Antin, toute ma carrière professionnelle s’est passée dans des bureaux rue d’Anjou et boulevard Malesherbes, et, comme j’ai toujours habité la banlieue ouest, j’ai pris quotidiennement le train de Saint-Lazare pendant un demi-siècle. Alors oui, ce quartier Saint-Lazare, je le connais bien, je l’aime bien, et je suis heureux de pouvoir vous présenter son histoire, son patrimoine, et ses activités.
Officiellement, ce quartier Saint-Lazare n’existe pas !
L’administration ne connait à sa place que les quartiers de l’Europe et Saint-Georges. Mais comme moi, vous le connaissez bien : nous pouvons le situer, grosso modo, entre la place Clichy, le boulevard Haussmann, Saint-Augustin, et la Trinité. Le centre en est la gare Saint-Lazare et le fleuron, bien entendu, le lycée Condorcet !
Mais d’abord, d’où vient ce nom de Saint Lazare ?
En hébreux, lazare signifie « Dieu sauve ». Dans les évangiles, deux personnages portent ce nom. L’un est un ami de Jésus, que celui-ci ressuscite, l’autre, dans une parabole, est un pauvre, couvert d’ulcères, que Dieu reçoit au ciel. Ces deux personnages seront réunis en un seul, devenu le patron des lépreux et les asiles les recueillant seront placées sous son nom. Mais, me direz-vous, il n’y a pas trace de léproserie dans notre quartier ! Non. Car la léproserie Saint-Lazare se situait beaucoup plus à l’est. Mais elle lui a donné son nom, en raison d’une histoire qui nous intéresse. Il y avait là, au Moyen-âge, dans ce qui est aujourd’hui le Xème arrondissement, une très vaste propriété, entourée d’une clôture, abritant, notamment, une léproserie, qui lui avait donné son nom. C’était le Clos ou l’Enclos Saint-Lazare, qui deviendra plus tard une maison religieuse sous la direction de saint Vincent de Paul, puis un asile d’aliénés, une maison de correction, et une prison. Elle a été rasée et reconstruite pour accueillir les prostituées. L’hôpital a finalement laissé la place aujourd’hui à un ensemble culturel, sportif et scolaire, avec un parc paysager.
Plan du quartier Saint-Lazare (au milieu du XVIII ème siècle)
Mais comment cette léproserie a-t-elle pu donner son nom à notre quartier qui en était fort éloigné ? Dans l’enclos Saint Lazare, s’élevait un village, le hameau des Porcherons, du nom des seigneurs qui l’avaient élevé. De ce hameau partait vers l’ouest un chemin très fréquenté, conduisant au hameau du Roule. Cette grande voie, appelé d’abord chemin des Porcherons, a pris le nom de l’enclos et de la léproserie dont elle venait pour devenir la rue Saint-Lazare…
La rue Saint-Lazare (‘en 1905)
aboutissant à la gare Saint-Lazare … et traversant le quartier Saint-Lazare !
Un dernier mot sur les Porcherons. Ils avaient fait bâtir le long de leur chemin un beau château qui est devenu plus tard la propriété de la famille Le Coq dont il a pris le nom.
Le Château du Coq
Ce château, tombé en ruine, a été rasé. L’avenue Le Coq, impasse donnant sur la rue Saint-Lazare, est le seul souvenir de ce lointain passé car l’urbanisme haussmannien a totalement transformé ce quartier qui était pourtant très animé au XVIIIème siècle lorsque les Tivolis le rendaient célèbre.
Les Tivolis
Comme vous le savez, Tivoli est une ville italienne connue pour ses villas, la villa Hadrien et la villa d’Este. En France, sous ce nom de Tivoli, est apparu une nouvelle forme de distraction liée au gout de la nature : quelques pavillons luxueux, appelés aussi folies, sont élevés dans de magnifiques jardins agrémentés de rochers et de cascades.
Le quartier Saint-Lazare en verra trois successifs : la folie Boutin (en vert), la folie Richelieu dite « second Tivoli » (en bleu) , la folie Bouexière dite « Nouveau Tivoli » (en rose) (plan de la première moitié du XIXe siècle)
Ces parcs, ouverts au public, proposaient de multiples attractions, comme des ménageries, des montagnes russes, un tir aux pigeons, et les fameux feux d’artifice des frères Ruggieri.
A cette vogue des Tivolis attirant un public nombreux et varié, correspond une nouvelle urbanisation du quartier : les aristocrates et les banquiers y font bâtir de luxueux hôtels, appelés « petites maisons », pour y installer leurs « amies » et y donner des fêtes.
On ne s’ennuie donc pas dans ce quartier Saint-Lazare, portant encore le nom des Porcherons. En atteste une chanson d’alors : « Voir Paris sans la Courtille où le peuple joyeux fourmille, sans fréquenter les Porcherons, le rendez-vous des gais lurons, c’est voir Rome sans voir le Pape ! » L’établissement le plus connu et le plus fréquenté était installé rue Saint Lazare, au coin de la rue de Clichy. Fondé par le sieur Magny, il a été repris par le célèbre Ramponneau qui a fait de La Grande Pinte une bruyante guinguette dont la salle de restaurant peut accueillir 600 personnes. Ne payant pas de taxes, car il est consommé en dehors de Paris, le vin blanc attire les clients : « Voyez la France accourir au tonneau, qui sert de trône à Ramponneau ».
De la Petite Pologne au quartier de l’Europe
A l’ouest de ce quartier des Porcherons, là où, dans les temps lointains, coulait la Seine avant de prendre sa place actuelle, il y a encore au XVIII ème siècle une vaste étendue de marécages, de landes, de champs plus ou moins cultivés, parsemées de masures. On l’appelle la Pologne, qui comprend aussi la Petite Pologne, quartier parsemé de moulins mais particulièrement mal famé et orné d’une voirie, c’est-à-dire un dépotoir. Ce qui deviendra le quartier de l’Europe doit une grande partie de son urbanisation à deux spéculateurs immobiliers : le banquier suédois Hagerman et l’entrepreneur Mignon. A partir de 1826, ils achètent progressivement tous les terrains de la Pologne, qui ne valent pas grand-chose. Puis ils en font un vaste lotissement résidentiel, selon un plan en étoile de grandes avenues avec au centre une place grandiose, qui sera la place de l’Europe.
La place de l’Europe (seconde moitié du XIX ème siècle)
Ce projet demandera du temps pour sa réalisation, achevée seulement en 1865, mais il sera surtout remis en cause par l’arrivée du chemin de fer et par …
La construction de la gare Saint-Lazare
Alors que les chemins de fer se sont développés dés le début du XIXème siècle en Angleterre et en Allemagne, la France a pris du retard car c’est seulement en 1827 qu’est créée la première ligne entre Saint-Etienne et Andrézieux, servant au transport du charbon.
L’histoire de la gare Saint-Lazare est assez compliquée, car avec la multiplication des voies et l’afflux des voyageurs, elle n’a cessé de se déplacer, de s’agrandir et de se transformer. C’est ainsi que les historiens parlent de quatre, voire cinq gares Saint-Lazare ! Son histoire s’inscrit dans la grande aventure du chemin de fer en France où les frères Pereire occupent la première place. Ce sont des banquiers, entrepreneurs particulièrement dynamiques, qui ont joué un rôle capital dans le décollage industriel de la France au Second Empire, en créant de nombreuses sociétés dans les chemins de fer, la banque, l’immobilier, les transports maritimes et les assurances. La ligne de Paris à Saint-Germain sera leur première entreprise. Ce choix s’explique par la place de la capitale mais aussi par l’attrait des Parisiens pour le « bon air » de Saint-Germain. Une fois la concession de la ligne obtenue en 1835, les frères Pereire créent une SA du Chemin de fer de Paris à Saint-Germain, associant notamment les banquiers Rothschild et d’Eichtal. Emile Pereire en est le directeur. Les ingénieurs chargés des travaux sont Clapeyron, Lamé et Flachat (ancien élève de Condorcet). Les travaux avancent vite. Dans un premier temps, la ligne s’arrêtera au Pecq, la machine à vapeur ne pouvant monter à Saint-Germain. Il faut toutefois faire appel au chemin de fer atmosphérique, où la traction est assurée par un piston fonctionnant dans un tube entre les rails, car les locomotives à vapeur devront devenir plus fortes pour pouvoir escalader le côteau de Saint Germain !
Mais c’est l’emplacement de la gare parisienne qui pose problème. Les promoteurs souhaitaient l’installer rue Tronchet, derrière la Madeleine, mais à la suite de l’opposition des riverains, un embarcadère provisoire est finalement dressé place de l’Europe, devant l’entrée du tunnel des Batignolles.
C’est là qu’a lieu, le 24 aout 1837, l’inauguration par la reine Marie Amélie, car on avait conseillé au roi Louis XVIII d’éviter les dangers éventuels de ce nouveau mode de locomotion. C’est un succès complet, qui fait taire toutes les peurs et toutes les critiques. Comme le dit Maxime du Camp : « Personne ne s’enrhuma sous les tunnels, et l’on put croire qu’un voyage en chemin de fer n’était pas nécessairement mortel ». 18.000 voyageurs sont transportés le premier jour de l’exploitation ! Notons qu’aujourd’hui, la gare Saint-Lazare voit passer 1.600 trains par jour et 100 millions de voyageurs par an !
Les premiers bâtiments, en 1837, ont été élevés place de l’Europe pour l’embarquement des voyageurs et le long de la rue de Stockholm pour leur sortie.
La véritable première gare a été bâtie de 1839 à 1842 en bas de la rue d’Amsterdam, à l’angle de la rue Saint-Lazare, dont elle prend alors le nom, sous la direction de Flachat et d’Armand.
C’est déjà un beau bâtiment, derrière une petite cour. Une aile a été créée vers la rue de Rome. En 1867, ce bâtiment reçoit de telles extensions que l’on peut parler d’une quatrième gare.
Enfin, de 1885 à 1889, sous la direction de Just Lisch, la gare Saint-Lazare va trouver la physionomie que nous lui connaissons aujourd’hui. Les vieilles maisons devant la gare ont fait place à l’hôtel Terminus, entre les cours de Rome et d’Amsterdam.
La façade est de style néo-classique, avec ses colonnes, ses balcons, ses frontons, ses grandes horloges entourées de sculptures, son immense Salle des Pas Perdus,
et menant à la Cour de Rome, son magnifique escalier. et menant à là la cour de Rome, son magnifique escalier. Il y a même une petite passerelle permettant aux touristes de luxe de passer directement du Terminus à leur train ! Traverser la passerelle, c’était s’élancer vers une nouvelle vie !
La passerelle
Rappelant toutefois sa vocation ferroviaire, deux statues d’Arman, accumulation d’horloges pour « L’heure du train » et accumulation de valises pour « Consigne à vie », ornent les deux cours.
Un lieu de vie particulièrement animé
De leur coté, les lycéens de Condorcet, qui s’entrainent à la course à pied dans la Salle des Pas Perdus, fondent le Racing Club de Paris. Mais une véritable révolution au début de notre siècle, va transformer cette Salle des Pas Perdus, chantée autrefois par Colette Deréal et de nombreux artistes : elle devient une nouvelle galerie marchande sur 3 niveaux, abritant 80 boutiques et un restaurant, faisant, comme on l’a dit, d’une cathédrale du chemin de fer un temple du commerce !
La gare Saint-Lazare a été le cadre de nombreuses manifestations. En 1908, les voyageurs, se voyant refuser des billets de retard, s’en prennent aux installations et au personnel de la gare, justifiant l’intervention de la police.
En 1910, ce sont les cheminots qui se mettent en grève pour obtenir la fameuse « thune », pièce de 5 francs, comme salaire journalier. La troupe est mobilisée pour garder les gares et les voies. Cette revendication sera finalement satisfaite mais 3.300 grévistes seront licenciés.
En 1936, la victoire du Front Populaire déclenche un mouvement de grève générale qui touche les chemins de fer et les Grands Magasins. En mai 68, la manifestation de la Bastille à la gare Saint-Lazare rassemble, selon les organisateurs, 100.000 participants. Je ne connais pas le chiffre donné par le service d’ordre !…
D’autres évènements sont à signaler:
En 1910, la crue de la Seine, inondant la capitale, a envahi tout le quartier Saint-Lazare et fait des deux cours de la gare de grands lacs silencieux et sans vie qui effraient les passants.
En 1921, dans le tunnel des Batignolles, à la sortie de la gare, une collision entre deux trains provoque un incendie qui fait vingt huit morts et une quinzaine de blessés. Ce tunnel sera démoli, pour l’essentiel, l’année suivante.
La gare n’est pas le seul monument du quartier
« Notre » Lycée
Il me faut maintenant parler de celui auquel nous sommes particulièrement attachés, je veux dire le lycée Condorcet. Je serai bref, car il pourra, si vous le souhaitez, faire l’objet d’une future conférence. C’est le célèbre architecte Brongniart, l’auteur de nombreux bâtiments néo-classique dont le Palais de la Bourse, qui a construit, entre 1780 et 1782, le couvent des Capucins, qui deviendra notre lycée, ainsi que la chapelle, qui deviendra l’église Saint-Louis d’Antin.
Sous la Révolution ; les Capucins sont expulsés, le couvent, désaffecté, fait place à un hospice, puis en 1802-1804, à un lycée, appelé successivement Bonaparte, Fontane et Condorcet.
C’est un des quatre plus vieux lycées de Paris. Vous connaissez, bien sûr, les célébrités qui l’ont fréquenté, professeur, comme Sartre, ou élève, comme Proust…
Les Églises
Pas très loin de Condorcet, en bas de la rue de Clichy, à peu près à l’emplacement de la « Grande Pinte », nous trouvons l’église de la Sainte Trinité, édifiée en 1867 par Théodore Ballu, grand prix de Rome, qui a reconstruit l’Hôtel de Ville.
Elle est de style éclectique, néo-renaissance, avec sa façade à trois arcades, ses deux baies, sa tour, son dôme et son lanternon. L’intérieur est orné de grandes peintures académiques. Les orgues, de Cavaillé-Coll, ont eu comme titulaire pendant 61 ans Olivier Messiaen. Il parait que le petit square qui s’étend devant l’église a vu la naissance du rock français car Johnny Halliday venait y gratter sa guitare !
À l’autre extrémité du quartier Saint-Lazare, au carrefour des boulevards Haussmann et Malesherbes, se dresse l’église Saint-Augustin, construite entre 1860 et 1871 par Baltard, auteur notamment du Pavillon des Halles.
Première à utiliser le fer et la fonte, elle est, elle aussi, de style éclectique, romain et byzantin, avec sa façade étroite et son vaste chœur, sa rosace et sa coupole. Charles de Foucauld, après une vie de débauche s’y est converti auprès de l’abbé Huvelin (ancien élève de Condorcet).
Reste à mentionner la chapelle construite en 1860 rue de Saint-Pétersbourg et devenue église en 1897, annexe de Saint-Louis d’Antin et portant aujourd’hui le nom de Saint-André d’Europe.
Les lycées, autres que Condorcet:
Chaptal, au coin de la rue de Rome et du boulevard des Batignolles, ancienne institution fondée en 1837 et rachetée par la ville en 1846
Racine, établi dans un vieil immeuble donnant rue de Rome et rue du Rocher
et Octave Gréard, rue du Général Foy. Notons aussi le cour Hattemer, rue de Londres, établissement privé et laïc, à la pédagogie originale, qui a eu comme élèves de nombreuses personnalités, comme Jean-Paul Sartre, Brigitte Bardot et Françoise Sagan.
Les espaces verts
Il n’en reste plus grand-chose :
Le square Louis XVI, ancien cimetière de la Madeleine, où furent inhumés de nombreux guillotinés de la Révolution, dont le roi et son épouse. Quand leurs corps furent transférés à la basilique de Saint-Denis, Louis XVIII y a fait élever une chapelle expiatoire.
Le square Marcel Pagnol, à coté de la caserne de la Pépinière et du Cercle Militaire, à l’emplacement de la Petite Pologne, dont j’ai déjà parlé.
Je néglige les grands immeubles haussmanniens du quartier, car malgré leur beauté, ils n’ont rien d’original, Paris en étant rempli.
Le quartier Saint-Lazare: une véritable fourmilière !
Comparé souvent à une véritable fourmilière, le quartier Saint-Lazare, a de tout temps, frappé les observateurs par ses activités nombreuses et variées.
Hôtels et Restaurants
Avec l’ouverture de la gare, il est devenu l’étape privilégiée à la fois pour les vacanciers des plages normandes comme Dieppe ou Deauville, et pour les riches touristes partant en train de luxe vers l’Angleterre ou l’Amérique par les ports du Havre ou de Cherbourg.
Cette clientèle méritait un hôtel de luxe : ce fut l’hôtel Terminus, inauguré pour l’Exposition Universelle de 1889. Notons au passage que l’anarchiste Emile Henry, dans un attentat à la bombe, y fit un mort et une vingtaine de blessés. Le Terminus est aujourd’hui passé sous l’enseigne Hilton.
Le quartier possède aussi de grands restaurants, notamment trois, rue Saint-Lazare, en face du Terminus :
« Le Roi de la Bière« , fondé en 1892 par Jacqueminot Graff , présente une façade pittoresque de style alsacien, ornée d’une statue de Gambrinus et surmontée d’une cigogne. Depuis 1998, c’est devenu un Mac Donald.
A coté, la brasserie Mollard, du nom de son fondateur en 1867, est cet établissement luxueux que nous connaissons bien pour y tenir notre banquet de fin d’année.
Nous trouvons encore, très voisine, la brasserie Garnier, véritable institution pour les amateurs de fruits de mer. Pour la clientèle plus modeste, il y avait, dés 1900, un Bouillon Duval, place du Havre.
Rappelons enfin le restaurant de la reine Pédauque, rue de la Pépinière, à deux pas de la gare Saint Lazare, dont le Prince de Broglie, homme politique, avait financé l’achat. On ne connaitra jamais les commanditaires de son assassinat qui devint une affaire d’état.
Les « Grands Magasins »
Pour les banlieusards, faire ses courses à Paris, c’était courir les grands magasins, et pour les enfants s’émerveiller, à noël, devant les vitrines animées, Le premier immeuble du Printemps, fondé par Jaluzot en 1865, a été totalement détruit par un incendie en 1881. Un nouveau magasin, typiquement Art Nouveau, doublé en 1908, sera lui aussi anéanti par un incendie.
Le grand magasin du « Printemps »
Sa reconstruction, à l’identique, sera achevé en 1924. A coté, Bouchara, le numéro un français du textile s’est établi en 1936. Il a fermé ses portes.
Les Galeries Lafayette, elles, ont leur origine dans une petite boutique de nouveautés ouverte en 1895 par Alphonse Khan.
Devant son succès, elle traverse la rue de la Chaussée d’Antin pour s’étendre boulevard Haussmann.
Le 19 janvier 1929, Jules Védrines, malgré l’interdiction de la préfecture de police, accomplit l’exploit d’atterrir sur le toit des Galeries. Il empoche le prix de 25.000 francs versé par le magasin, mais doit payer une amende de 16 francs.
Le « petit commerce »
Mais ces grands magasins n’avaient pas tué le petit commerce. La gare était dotée d’une galerie marchande, connue pour son Cinéac, ouvert en1932 et fermé en 1971, qui, pour un prix réduit, offrait un programme d’une heure comprenant actualités, documentaires, et dessins animés. Nous y trouvions aussi le Discobole, un beau magasin de disques. Rappelons enfin le célèbre fromager Androuet, attirant depuis1909 de nombreux clients de tout Paris, rue d’Amsterdam, et la pharmacie Bailly, fondée en 1826, qui a perdu sa gigantesque enseigne lumineuse. Presque tous ces établissements ont finalement disparu.
Reste le Passage du Havre. Ouvert en 1845, il avait, sous le Second Empire, la réputation de débaucher les lycéens de Condorcet qui pouvaient s’y procurer des friandises, des romans libertins, ou des pamphlets politiques .Bien plus tard, nous y avons couru pour admirer les modèles réduits, à la devanture du « Pélican » et du « Magasin des trains ».
Ce passage a été totalement transformé et modernisé, abritant de riches boutiques sur deux niveaux et donnant accès à la FNAC.
Le quartier Saint- Lazare n’étant pas celui de la presse, je ne peux signaler, rue de Clichy, que « La Vie du Rail », le journal des cheminots, qui leur était distribué gratuitement, devenu indépendant.
Avant de laisser le commerce, saluons les « accueillantes dames » des rues de Budapest et de Provence.
Un quartier qui n’est pas étranger au monde de la Culture
Même s’il est absorbé par ses activités lucratives, le quartier n’est jamais resté étranger au monde de la culture. Symbole de la modernité sous le second Empire, il devint un lieu de rencontres et d’échanges entre la littérature et la peinture qui ambitionnent de dépasser l’esthétique classique.
Écrivains et Poètes
Mallarmé, nommé professeur d’anglais au lycée Condorcet, s’installe rue de Moscou puis rue de Rome, où il tient des réunions poétiques fort renommées. Chaque jour, sortant de Condorcet, il s’arrête chez Manet dans son atelier rue de Leningrad. Nous verrons plus tard les peintres habitant le quartier. Marcel Proust, de 1905 à 1919, a vécu 102 boulevard Haussmann, en face du square Louis XVI, reclus dans sa chambre aux murs revêtus de liège pour éviter le bruit. En 1918, il est surpris par la police à l’hôtel Marigny, 11 rue de l’Arcade, surnommé le temple de l’impudeur car c’est un lieu de refuge réservé aux homosexuels. En 1909, Georges Feydeau, l’auteur d’ « Occupe-toi d’Amélie », qui s’est violemment disputé avec son épouse, se réfugie au grand hôtel Terminus, où il restera finalement une dizaine d’années. Et quand j’étais jeune et que j’avais des cheveux, j’allais me les faire couper, rue Saint-Lazare, chez Joseph Joffo, l’auteur d’ « Un sac de billes » Sans y habiter, plusieurs écrivains ont pris le quartier comme cadre, voire comme sujet de leurs romans : Emile Zola, dans « La bête humaine », Paul Guimard, dans « Rue du Havre », René Fallet, dans « Les pas perdus », Raymond Queneau, dans « Exercices de style » et surtout Dominique Fabre, qui, dans son beau livre « Gare Saint-Lazare », évoque tout le quartier avec nostalgie.
Cinémas, Théâtres
Au cinéma, souvenez–vous des retrouvailles sur un quai d’Anouk Aimé et de Jean-Louis Trintignant dans « Un homme et une femme ». Des salles de cinéma, il ne reste plus que les quatre Caumartins.
Les théâtres, moins nombreux qu’autour de l’Opéra, ne sont pas absents. Nous trouvons:
rue de Clichy: le Théâtre de l’Œuvre où fut monté « Ubu roi » et le Casino de Paris, où se produisirent toutes les vedettes du music-hall,
rue du Rocher, le théâtre de Rochefort,
et dans la rue Mogador, le théâtre du même nom, qui a accueilli les Ballets Russes.
Le Conservatoire installé en 1911 rue de Madrid sous la direction de Gabriel Fauré, a entrainé rue de Rome l’afflux des luthiers, magasins d’instruments, et librairies de partitions.
Peintres & Sculpteurs
Un critique a estimé que les vues de Paris montrant le chemin de fer incarnaient l’âme de l’Impressionnisme. Nous pensons aux douze toiles de Monet représentant la gare Saint-Lazare, au « Pont de l’Europe » de Caillebotte,
aux tableaux de Manet, Pissaro et à bien d’autres. Rappelons les deux statues d’Arman dans les cours de la gare.
Nous voilà arrivés au bout de notre petit périple dans le quartier Saint-Lazare. Il y aurait sans doute beaucoup d’autre chose à dire. Vous aller pouvoir me compléter et me corriger. La dernière modernisation de la gare a été critiquée, pour avoir détruit ce qui faisait son charme. Mais comme le disait Théophile Gautier : « Tout homme qui fait un pas en avant foule les cendres de ses pères ». Je vous laisse juges. Quoi qu’il en soit, il nous faut, comme nous l’avons fait ce soir, garder en mémoire le riche passé de ce quartier. Personnellement, je me retrouve bien dans les souvenirs de Dominique Fabre lorsqu’il dit : «Je traversais la rue Saint-Lazare. Je me suis souvent retrouvé sur le trottoir parmi les vendeurs de roses. Il y a toujours eu des fleurs à la gare Saint- Lazare. » Je vous remercie de votre attention.